Décret exécutif n° 19- 165 du 27 mai 2019: quelques éléments de réflexion
L’expression "La nature a horreur du vide" trouve dans le décret exécutif n° 19- 165 tout son sens. Avec la rémission de l’activité syndicale au sein de notre établissement, en particulier, et dans les universités, en général, les dispositions contenues dans ledit décret viennent malheureusement combler l’espace laissé vide par le rétrécissement, volontaire ou involontaire, du champ des libertés syndicales.
Le texte en question, vient à point nommé (pour ses rédacteurs) consacrer le sacro-saint principe de "la primauté de l’administratif sur le pédagogique et le scientifique" si cher à nos décideurs. Sinon comment expliquer sa diffusion (du moins au niveau de notre université) et la volonté de l’appliquer quelques 3 années après sa création (le texte date du 2019, faut-il le rappeler).
Dans la forme :
Le texte qui, interpelle à plus d’un titre tant par son timing que par son contenu, suppose que toutes les conditions sont réunies pour pouvoir procéder à une évaluation objective de l’enseignant-chercheur. Or ni le contexte pandémique, avec tous les problèmes liés à la gestion pédagogique dans de pareilles circonstances (enseignement à distance, risque de l’enseignement présentiel, problèmes de connexion, etc.) ni les conditions socioprofessionnelles difficiles dans lesquelles les enseignants exercent leur métier ne se prêtent à ce genre d’exercice.
Rien ne garantit que l’évaluation sera objective et que les lacunes constatées (si tant est que l’on les considère comme objectives) ne seront pas mises sur le dos de l’enseignant.
Dans le fond :
Le texte qu’on semble s’empresser à appliquer ignore assez souvent la nature même de notre métier. Il semble, de fait, en contradiction avec le statut particulier de l’enseignant chercheur (Décret exécutif n° 08-130 du 27 Rabie Ethani 1429 correspondant au 03 mai 2008 portant statut particulier de l’enseignant-chercheur) qui inclut tout de même la notion d’évaluation dans son article 23 mais qui la soumet aux organismes scientifiques et pédagogiques habilités. C'est-à-dire les Conseils Scientifiques et les Équipes Pédagogiques héritières des CPC du système classique. En plus, il est stipulé dans ce même article 23 que ses modalités d’application sont fixées par arrêté du ministre chargé de l’enseignement supérieur. Ce n’est évidemment pas le cas ici.
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| Capture d'écran de l'article 23 du statut particulier de l'enseignant-chercheur |
Ce décret (19-165), spécialement dans son article 12 stipule que la fiche d’évaluation est établie par le supérieur hiérarchique direct (entendre par là le Chef de Département) ou le responsable hiérarchique supérieur (entendre par là le Doyen). Or cette disposition présente un problème d’ordre éthique puisqu’elle ignore la nature même de notre métier qui relève du pédagogique et du scientifique. La hiérarchie en principe devrait être établie suivant un ordre scientifique et non pas administratif. D’où l’appréhension suivante: Un enseignant de rang scientifique inférieur peut-il évaluer un enseignant dont le rang ou le grade lui est supérieur scientifiquement ? Autrement dit, est-il normal qu’un chef de département dont le grade scientifique est maître-assistant puisse évaluer un enseignant sans aucune charge administrative mais qui a un grade supérieur (Maître de Conférence ou Professeur). Pareil pour un Doyen qui a le Grade de Maître de Conférence et qui par la voie de cet article 12 devrait évaluer un Professeur. Et ainsi de suite.
Aussi se pose le problème de la spécialité. Souvent les départements et / ou les facultés emploient à titre permanent des enseignants dont la spécialité ne peut être incluse dans le Domaine scientifique dans lequel ces structures pédagogiques s’inscrivent (Enseignant de Sciences Humaines dans une faculté de Sciences Techniques, par exemple): Comment pourra t-on les évaluer, dans ce cas là ? Surtout que l’article 5 stipule que la compétence professionnelle est évaluée à travers la maîtrise du domaine d’activité, des méthodes, des techniques et procédures y relatives.
Ce décret semble se substituer à la fiche de notation actuelle. Il introduit cependant la notion d’entretien appelée dans le texte qui nous concerne « Entretien d’évaluation Professionnelle ». Rien ne nous garantit que cet entretien ne s’apparentera pas à un « Entretien de réembauche » et qu’il ne prendra pas l’allure d’un questionnaire administratif en bonne et due forme dans lequel l’enseignant devra justifier verbalement ses compétences. La « présomption de compétence » sur la base des diplômes acquis, des articles scientifiques publiés et les années d’expériences est totalement ignorée puisque chaque année l’enseignant est amené à "prouver" ses compétences.
Autre lacune de taille à relever dans ce texte qui, dans son article 14, avance que la finalité de cette évaluation est l’octroi des primes et indemnités liées au rendement et à la performance. Celles-ci sont attribuées trimestriellement or l’évaluation se fait annuellement. Ici est posé le problème du déphasage de la cadence avec laquelle s’effectue l’évaluation avec celle avec laquelle sont attribuées les primes de rendement.
Certains critères d’évaluation inclus dans le Chapitre 2, article 5 peuvent ouvrir "la boîte de pandore de l’arbitraire" dans ses deux sens : l’aléatoire et le despotisme. On évaluant la loyauté, l’impartialité, la courtoisie avec les supérieurs, le comportement digne et responsable on ne peut que sombrer dans la subjectivité et par conséquent, l’arbitraire.
Appliquer ce texte tel qu’il se présente relèverait de la précipitation et de l’excès de zèle et consacrerait encore plus la primauté de l’administratif sur le scientifique et le pédagogique. Puisque en l’état, il serait difficile voire même impossible de l’appliquer. D’ailleurs, l’article 20 de ce même texte laisse entendre que des modalités d’applications seront précisées par l’autorité chargée de la fonction publique (encore une autre contradiction avec le statut particulier de l’enseignant chercheur établi en 2008 qui stipule que les modalités d’applications de l’évaluation doivent être prononcées par le ministère de tutelle).


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